L'insoutenable légèreté de l'été


Cette année, en ce mois de juillet, je n’aurais pas voulu ne pas vous écrire. 

Une manière un peu détournée de vous dire que nous avions rendez-vous ! 

 

Quand l’été pointe son nez, la pensée me vient régulièrement : Et le billet ? 

Je réalise que j’y tiens, en fait, à vous envoyer ce mot. 

Que veut-il ?

Que cherche-t-il ? 

C’est sans doute pour l’exercice d'écriture lui-même.

Mais plus encore pour ce qu’il génère comme lien. 

C’est souvent après cet envoi que certaines personnes un peu éloignées me font signe, apparaissent de nouveau à la surface de la vie, c’est toujours une grande joie !

 

Après ce printemps hivernal, ici à Lille et dans mon cas, un long tunnel de rendez-vous pros, certes passionnants mais aussi très absorbants, j’ai eu le sentiment que mon été commençait à peine ces jours-ci.

Et pour tout vous dire, à presque mi-juillet, je peinais sur ma page d’écriture…

 

Et puis une information tombe. 

Je lis : ce mardi 11 juillet, mort de Milan Kundera.

Pour moi, c'est un choc à cause de l’attachement que j’avais pour cet écrivain.

Un romancier que j’ai, en son heure, dévoré, tout comme Émile Zola, quand j'étais un peu plus jeune. J’allais presque tout lire de Kundera : La valse des adieux, La vie est ailleurs, Le livre du rire et de l’oubli, La lenteur, L’immortalité, L'Art du roman, Jacques et son maître, L’ignorance... 

Le livre par lequel j'ai commencé c'est, «L'insoutenable légèreté de l'être » * je ne sais plus comment il est arrivé entre mes mains à 20 ans ! 

 

Je cite le début du livre : 

« L’éternel retour est une idée mystérieuse et, avec elle, Nietzsche a mis bien des philosophes dans l’embarras : penser qu’un jour tout se répètera comme nous l’avons déjà vécu et que même cette répétition se répétera encore indéfiniment ! Que veut dire ce mythe loufoque ? (...) Disons que l'idée de l'éternel retour désigne une perspective où les choses ne nous apparaissent pas telles que nous les connaissons : elles nous apparaissent sans la circonstance atténuante de leur fugacité. Cette circonstance atténuante nous empêche en effet de prononcer tout verdict. Peut-on condamner ce qui est éphémère ? Les nuages orangés du couchant éclairent toute chose du charme de la nostalgie ; même la guillotine. » 

Il y a aussi dans le livre, un incroyable passage sur le Kitsch, mémorable !

Kundera a l’élégance d’écrire avec subtilité et nuance sur des thèmes existentiels et profonds. Son écriture épouse la variation vibrante de la vie. 

Je vous invite à le découvrir ou à le relire !

 

Farce ou hasard, l’été où je lisais ce livre, j’étais en voyage dans l’ex-RDA, à l'Est, cet Est qu'il avait quitté sans retour, laissant derrière lui la Tchécoslovaquie . 

Un déraciné, celui à qui manquera à jamais une part restée dans son autre pays.

À l’instar des sculptures de l'artiste Bruno Catalano, laissant une partie d’elles-mêmes derrière elles, pour trouver dans la terre d’accueil autre chose, dont chacun ignore encore la nature. 

Déraciné il fût, déracinée je suis !

 

Il se trouve qu’il y a quelques semaines, un début de billet avait pris forme sous mes doigts, avec un sujet qui peut en troubler plus d’un, la Mort !

Et avec Kundera, ce jour-là, c’est à nouveau ce sujet qui me met en route.

Et cette fois-ci je décide de m'y soumettre…

 

Peut-être certains ont-ils envie de s’enfuir, d'autres seront déjà partis…

Comme dans le cas de l’argent, ce sont des sujets qui fâchent, qui mettent mal à l’aise.

Je le constate lors des stages que j’anime sur ce thème lourd et léger à la fois. 

 

Je reviens à mon thème.

Quand j’ai écrit les premières lignes, il y a quelques semaines maintenant, j’ignorais complétement que le billet allait glisser sur ce sujet, il s’est imposé... étrange, non ?

C'est sans doute parce que cette année, la mort m’a touchée, non pas à travers des proches, directement, mais des personnes chères autour de moi.

Notamment une de mes meilleures amies.

Elle est partie au printemps !

 

« Il y a deux façons de se tromper : L'une est de croire ce qui n'est pas. L'autre de refuser de croire ce qui est. » Sören Kierkegaard. 

 

Elle n’a pas refusé de croire ce qui est, dans son cas une tumeur qui allait lui être fatale, au contraire, elle a choisi de la reconnaître, apprenant à faire avec la réalité telle qu'elle se donnait à vivre.

Forte, elle l’a regardée en face et a aidé tous ceux qui l’entouraient à faire comme elle, sans se raconter d’histoires mais en se préparant lucidement au départ.

La mort, la conscience de la Mort lui a donné le goût intense de la vie, jusqu’au bout !

Dans la tourmente, elle aurait pu être ravagée, au contraire elle s’est tenue là à l’endroit de la paix, cet endroit qui ne bouge pas, même quand le chaos viendrait à nous faire chavirer. 

J’ai lu il y a peu cette phrase : quand la roue tourne, quelle que soit sa vitesse, le moyeu ne bouge pas.

Mon amie a laissé faire la vie et la vie en elle s’est accomplie.

Un peu comme cette vieille femme que je vois sur la place, de mon balcon, avec son déambulateur, elle arrive le matin, tout doucement, et s’assoie sur le banc avec du pain pour les oiseaux et une grappe de raisins blancs pour elle. À la voir souvent assise ainsi sur son banc, tranquille, elle me semble dans cet instant là, laisser elle aussi la vie s’accomplir.

 

« Et toi ? Comment vas-tu ? »

Cette question arrivait très vite dans nos conversations, pour moi comme pour tous ceux qui venaient la voir. 

C’était frappant de constater combien elle restait intéressée par la vie des autres, la vie tout court d’ailleurs, s’émerveillant de son jardin, des nuages qui passent et de l’arbre qui l’attendait lors de ses promenades, qu’elle serrait si souvent dans ses bras.

Présente, totalement, juste pour le bonheur de la rencontre, sachant profondément que la rencontre est le sens et peut-être même le but premier de l’existence humaine.

C’est cela et beaucoup d’autres choses encore, qu’elle m’a enseigné tout au long de ces dix-huit mois, où avec d’autres nous avons été là pour elle.

L’ultime message qu’elle m’a glissé à l’oreille, le dernier jour où j’ai entendu sa voix, c’était un message d’amour : « Je t’aime ». Ainsi, quand j’ai relu ce texte de Christiane Singer, c’est comme si mon amie me parlait à l'oreille :

 

« De l’autre côté du pire t’attend l’amour !

C’est du fond de mon lit que je vous parle, et si je ne suis pas en mesure de m’adresser à une grande assistance, c’est à chacun de vous que je parle au creux de l’oreille. J’ai toujours partagé tout ce que je vivais. Toute mon œuvre était un partage de mon expérience de vie. 

J’ai voulu faire de la vie un haut lieu d’expérimentation.

Ma dernière aventure ? 

Deux mois d’une vertigineuse et assez déchirante descente et traversée. Avec surtout le mystère de la souffrance. J’ai encore beaucoup de peine à en parler de sang-froid. Je veux seulement l’évoquer. Parce que c’est cette souffrance qui m’a abrasée, qui m’a rabotée jusqu’à la transparence, calcinée jusqu’à la dernière cellule.

Il y a eu une nuit surtout où j'ai dérivé dans un espace inconnu. Et ce qui est bouleversant, c’est que quand tout est détruit, quand il n’y a plus rien, mais vraiment plus rien, il n’y a pas la mort et le vide comme on le croirait, pas du tout. Je vous le jure ! 

Quand il n’y a plus rien, il n’y a que l’Amour. 

Il n’y a plus que l’Amour. Tous les barrages craquent. C’est la noyade, c’est l’immersion. L’Amour n’est pas un sentiment. C’est la substance même de la création. Et c'est pour en témoigner finalement que j'en sors parce qu'il faut sortir pour en parler. Comme le nageur qui émerge de l'océan et ruisselle encore de cette eau. 

C'est un peu dans cet état d'amphibie que je m'adresse à vous. On ne peut pas à la fois demeurer dans cet état, dans cette unité où toute séparation est abolie et retourner pour en témoigner parmi ses frères humains. Il faut choisir.

Je croyais jusqu’alors que l’Amour était reliance, qu’il nous reliait les uns aux autres.

 Mais cela va beaucoup plus loin ! 

Nous n’avons pas même à être reliés : nous sommes à l’intérieur les uns des autres. C’est cela le mystère. C’est cela le plus grand vertige. 

Au fond, je viens seulement vous apporter cette bonne nouvelle : de l’autre côté du pire t’attend l’Amour. Il n’y a en vérité rien à craindre. 

Oui c’est la bonne nouvelle que je vous apporte.

Ma voix va maintenant lentement se taire à votre oreille ; vous me rencontrerez peut-être ces jours errant dans les couloirs car j'ai de la peine à me séparer de vous. La main sur le cœur, je m'incline devant chacun de vous. »

 

J’aimerais que vous soyez encore là à me lire, après avoir osé avec vous être sur ce thème si sensible mais qui nous touche tous sans exception.

 

Il n’y a rien d’assuré, rien de permanent dans cet univers, tout est mouvement et changement, la seule ancre stable est celle de la respiration. Elle est notre première rencontre avec la vie, elle sera notre dernier souffle !

 

J’aimerais ne pas vous quitter sans un mot pour notre saison de l’été. `

L’été, où après des journées actives et lumineuses, viennent les soirées où l’on se délecte dans la fraicheur et la douceur de la bonne compagnie et qui se prolongent par des rires et des regards pour les étoiles.

 

Cette saison qui m’enchante tant elle est vibrante, vivante en moi et m’entraine dans la danse de l'été : « Dansez sur les pavés, nos vies ne se résument pas à nos tristes fins. Nous nous portons les uns les autres, nous nous enlaçons. Dansez, la mort n’y peut rien, elle est obligée de prendre place dans le cortège et de sourire avec nous. Dansez de la vitalité de vos muscles, dansez jusqu’à ce que tout s’arrête ! Dansez puisque vous vivez. » Paris, Mille Vies. 

Je ne pouvais pas ne pas vous partager ce bel extrait de Laurent Gaudé, où j'entends mille résonances.

 

Que serait l'été sans les glaces ? 

 

Alors un dernier texte qui se savoure comme une glace par une chaude journée d'été, d'un auteur-poète que je voulais ici dans ce billet estival honorer, lui qui m’a si souvent inspirée. 

« Quand je n'écris pas c'est que quelque chose en moi ne participe plus à la conversation des étoiles. Les arbres, eux, sont toujours dans un nonchalant état d'alerte. Les arbres ou les bêtes ou les rivières. Les fleurs se hissent du menton jusqu'au soleil. Il n'y a pas une seule faute d'orthographe dans l'écriture de la nature. Rien à corriger dans le ralenti de l'épervier au zénith, dans les anecdotes colportées à bas bruit par les fleurs de la prairie, ou dans la main du vent agitant son théâtre d'ombre. A l'instant où j'écris, j'essaie de rejoindre tous ceux-là. »

C'est de Christian Bobin, parti lui cet automne, en novembre ! 

 

Que diriez-vous de nous quitter sur une musique qui agit comme une ritournelle et nous donne envie de danser... 

Le Bonheur de Berry = https://www.youtube.com/watch?v=YpKZAdAbq18

 

Bel été, à vous lire !

 

Lisdalia 

  * En1988, le livre a fait l'objet d'un film, réalisé par Philip Kaufman, avec Daniel Day-Lewis, Juliette Binoche et Lena Olin.

 


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